Par Kim Strawbridge, East Devon Pebblebed Heaths Conservation Trust.
Juin 2021
Il ne fait aucun doute que le projet visant à reconnecter la rivière Otter à sa zone inondable est une occasion passionnante de repenser la manière dont nous gérons non seulement ce territoire, mais aussi d’autres sites côtiers confrontés à des défis similaires. Le travail qui nous permettra de gérer plus durablement le cours inférieur de la rivière Otter face au changement climatique est jumelé avec un projet partenaire en France, dans la vallée de la Saâne. Ensemble, ces deux projets de restauration adaptée forment le projet PACCo. Outre les changements physiques évidents sur les sites, une activité intense se déroule en coulisses. Nous travaillons avec des spécialistes pour recueillir méthodiquement des données qui nous aideront à comprendre l’impact des projets. Ces données pourront ensuite être partagées avec d’autres zones estuariennes afin de les aider à s’orienter dans leurs futurs projets et à protéger leurs propres sites des effets du changement climatique (notamment l’élévation du niveau de la mer, l’augmentation des inondations et les phénomènes météorologiques extrêmes).
Les programmes de restauration adaptée ne sont pas un nouveau concept. Il existe de merveilleux exemples à travers le Royaume-Uni à des échelles diverses, de quelques dizaines à quelques centaines d’hectares. Tout comme nous espérons pouvoir partager nos connaissances à l’avenir, nous sommes également désireux d’avoir un aperçu des projets et des sites où la « marée monte » déjà. Ainsi, lorsque nous avons été invités par le Wildfowl and Wetland Trust (WWT) [NdT : Société de protection des oiseaux aquatiques et des zones humides] à visiter leur site de Steart dans le Somerset, nous avons sauté sur l’occasion de leur rendre visite et de rencontrer leur équipe. La visite étant prévue pour la fin mai, nous nous attendions à passer la journée sous noschapeaux et lunettes de soleil. Au lieu de cela, la réalité britannique nous a rappelés à l’ordre avec une alerte jaune pour vents forts. Bonnets de laine et imperméables étaient de rigueur. Heureusement, l’équipe du WWT ne s’est pas laissé abattre et nous a tout de même fait visiter les lieux.
Les marais de Steart sont ce que le WWT appelle ses premières « zones humides fonctionnelles ». La menace d’inondation était très réelle pour les habitants de la péninsule de Steart. Ensemble, le WWT et l’Agence pour l’environnement ont donc trouvé une solution inspirée des perspectives de la communauté locale et de l’adéquation entre le paysage et la faune des zones humides. La réserve constitue aujourd’hui une protection contre les inondations pour les habitations et les entreprises locales. Elle produit du bétail de haute qualité et abrite une réserve naturelle florissante.
L’élévation du niveau de la mer devrait inonder des milliers d’hectares de marais salants et de vasières au cours des 50 prochaines années. Ces habitats sont non seulement des lieux d’alimentation importants pour de nombreux oiseaux et poissons, mais constituent également un tampon naturel contre les tempêtes et les marées hautes. À de nombreux endroits le long de la côte, il n’y a pas d’autre choix que de construire des défenses plus élevées pour protéger les communautés. Mais Steart a démontré qu’à certains endroits, il est possible de réaménager le littoral pour favoriser la formation de nouveaux marais salants, ce qui constitue un moyen moins coûteux et plus durable de se protéger contre les inondations à l’avenir et de créer un espace indispensable à la vie sauvage.
Steart se trouve entre l’embouchure de la rivière Parrett et du canal de Bristol, sur la côte du Somerset, et présente l’une des plus grandes forces marémotrices du monde. La zone de marées à elle seule fait presque 3 km de long et 1 km de large. Les zones saumâtres adjacentes et les marais d’eau douce constituent le reste de la réserve. Bien que le site soit désormais géré par le WWT en tant que réserve naturelle, pendant le projet de restauration adaptée, cet organisme a travaillé avec l’Agence pour l’environnement pour planifier et réaliser les travaux, un peu comme nous le faisons sur la rivière Otter. Le projet a débuté en 2009, et les travaux sur le terrain ont commencé en 2011. Les principaux travaux de surface ont eu lieu en 2012/13, et la brèche finale de la digue a été construite en septembre 2014, ce qui a permis à la marée de couvrir 300 hectares de terres basses pour la première fois depuis des siècles.
Tim, qui était le chef de projet du WWT, a décrit comment les 6 premiers mois suivant la création de la brèche ont été incroyablement dynamiques, car les ruisseaux se creusaient et divers les matériaux étaient déposés par la marée. Il a souligné combien il était important d’éliminer toute obstruction potentielle, comme les haies, pour permettre à ce processus de se dérouler sans entrave pendant que le réseau de criques conçu facilitait le mouvement initial de l’eau autour du site. Le nouveau marais salant s’est formé plus rapidement que prévu, avec l’apparition de plantes colonisatrices des marais salants dès la première année suivant la brèche, du fait de la vase, des graines et du matériel végétal déposés au fil des marées.
Les marais de Steart étaient autrefois des terres arables et ils continuent de servir de pacage aux éleveurs locaux qui sont en mesure de commercialiser l’agneau et le bœuf des prés salés à un prix élevé, car leur saveur est appréciée par les gourmets. Les problèmes de salinité dus à une brèche historique et le risque d’inondation ont incité les agriculteurs à envisager un autre modèle d’exploitation. L’équipe du WWT n’a pas manqué d’établir une relation solide avec ces éleveurs, ce qui est clairement bénéfique à la fois pour la faune, les agriculteurs et la communauté locale. Des bovins impressionnants à longues cornes et des moutons paissent de manière intensive dans la région.
Bien que la réserve soit ouverte au public et dispose d’un parking, de toilettes, d’abris confortables pour observer les oiseaux et d’un bon réseau de sentiers, la responsable du site, Alys, nous a expliqué que, contrairement à la plupart des réserves du WWT, qui s’efforcent d’attirer les visiteurs, ce n’est pas le cas à Steart. Bien que les visiteurs soient les bienvenus dans la réserve, le WWT a consciemment décidé de ne pas développer un centre d’accueil. Au lieu de cela, le développement est discret et permet à quelques visiteurs indépendants d’explorer Steart. Il s’agit d’aider les populations locales à réaliser les avantages d’un accès amélioré pour leur santé et leur bien-être, sans que le site devienne une « destination” touristique » : un équilibre délicat auquel notre équipe peut certainement s’identifier. Cet objectif et ce plan clairs pour la réserve ont permis à l’équipe de se concentrer sur la gestion des habitats et de poursuivre ses activités de surveillance et de recherche. Ici, l’accent a été mis sur l’utilisation du site en tant que zone pilote pour sensibiliser l’opinion à la valeur des zones humides.
Cela dit, la réserve reçoit environ 70 000 visites par an, et nous avons été impressionnés par la qualité des installations fournies pour cette réserve naturelle dont la visite est gratuite. Nous avons été surpris d’apprendre qu’une partie du soutien financier pour la gestion permanente des visiteurs provenait d’une source improbable, la centrale nucléaire de Hinkley Point, qui se trouve à proximité. Bien qu’il n’y ait pas de centrale nucléaire dans toutes les réserves naturelles, cela montre qu’il est possible d’envisager de manière créative une collaboration avec l’industrie et les entreprises commerciales.
Outre le développement des habitats, la capacité des marais de Steart à accueillir la faune et leur rôle d’amortisseur face à l’impact de l’élévation du niveau de la mer, un élément important des recherches effectuées est de mesurer la capacité de captage de carbone. Bien que les arbres soient largement reconnus pour leur rôle dans le piégeage du carbone, les plantes des marais salants, souvent négligées, s’avèrent très efficaces lorsque l’on examine les chiffres. Au fur et à mesure que les plantes des marais salants meurent, au lieu de se décomposer et de libérer leur carbone dans l’atmosphère, elles sont enfouies dans la boue. Si ce « carbone bleu » n’a pas autant de charisme qu’un peuplement d’arbres, les chiffres ne mentent pas. Ce carbone à haute densité s’accumule dans les océans et les écosystèmes côtiers au fil du temps. La science actuelle nous apprend qu’à l’échelle mondiale, le taux de piégeage du carbone dans les zones humides côtières est supérieur à celui de toutes les forêts réunies, bien que celles-ci couvrent des superficies beaucoup plus importantes. C’est assez stupéfiant. Les recherches sur le piégeage du carbone à Steart sont menées par le Dr Hannah Mossman et Rachel Dunk de l’université métropolitaine de Manchester. Elles estiment qu’environ 30 000 tonnes de carbone ont été enfouies sur ce site depuis sa restauration, un chiffre probablement sous-estimé du fait de la végétalisation graduelle du site. Elles ont constaté que les sédiments qui s’accumulent actuellement sont plus riches en carbone que le sol agricole précédent, qui s’était appauvri en carbone. L’équipe de l’université de Manchester travaille également avec nous pour étudier l’impact de ce programme de restauration sur le piégeage du carbone dans la zone du projet de l’estuaire inférieur de l’Otter. Pour en savoir plus, consultez notre blog sur le piégeage du carbone. Bien que l’Otter soit plus petite, il sera fascinant de pouvoir comparer les ensembles de données.
Et le temps fort de la visite ? Eh bien, il s’agit des petits poussins d’avocettes qui s’affairaient à se frayer un chemin dans les eaux peu profondes pendant que nous nous abritions d’un vent somme toute très fort pour la saison derrière un écran d’observation. Ce n’est qu’une des nombreuses espèces qui prospèrent maintenant sur le site.
Pour en apprendre davantage sur Steart, rendez-vous ici https://www.wwt.org.uk/wetland-centres/steart-marshes/.