Ambitieux et innovant. Le projet de territoire dessine l’avenir de la basse vallée.
A quoi ressemblera, la basse vallée de la Saâne au milieu du XXIe siècle ? Cette question a émergé dans les années 2000, quand les tempêtes, les submersions marines et les inondations se sont faites plus fréquentes et plus violentes. Il est alors apparu que les effets du dérèglement climatique n’épargneraient pas le territoire, et que l’élévation du niveau de la mer interdit de se croire à l’abri derrière la digue érigée en 1914 « pour protéger [la vallée] contre l’invasion des hautes marées et pour débarrasser des miasmes fiévreux qui ont été trop souvent la cause d’épidémies. » Si, pendant un siècle et demi, la digue a vaillamment rempli sa mission, ses limites et ses effets secondaires deviennent problématiques : par exemple, lorsque gonflée par les eaux de pluie en amont, de plus en plus fréquentes, la Saâne sort de son lit et inonde le terrain, la digue empêche l’évacuation rapide de l’eau vers la mer. La basse vallée se comporte alors comme une baignoire équipée d’une bonde trop étroite : impossible à vider.
Revenir en arrière, supprimer la digue ? L’idée en a été envisagée. Mais le territoire n’est plus ce qu’il était en 1864, lors de la création de la première buse. A l’abri de la digue, des équipements ont été installés : la route départementale, le camping municipal de Quiberville, des logements, des activités économiques…
Les décisions se sont alors imposées progressivement : la basse vallée de la Saâne a choisi de mettre à profit les adaptations inéluctables aux conditions nouvelles pour imaginer son avenir, son développement économique et son cadre de vie. Les acteurs du territoire (Etat, Région, Département, intercommunalités, communes, associations, riverains, agriculteurs, pêcheurs, chasseurs, agence de l’eau…) ont entamé une phase d’intense concertation pour élaborer le projet territorial Basse Saâne 2050, dont ils ont confié la coordination au Conservatoire du littoral. Avec trois objectifs :
– appréhender le risque inondation en favorisant l’écoulement de la Saâne à la mer tout en répondant au risque de submersion marine ;
– améliorer la qualité du milieu et restaurer la biodiversité ;
– prendre en compte l’ensemble des usages socio-économiques de la basse vallée (riverains, usagers, agriculteurs, pêcheurs, chasseurs, touristes…).
Pour y parvenir, plusieurs chantiers ont dû être lancés. Pour limiter les risques d’inondation, il faut connecter la Saâne à la mer, tout en conservant la digue et la route littorale : un pont-cadre y pourvoira. Il faut aussi redonner à la rivière de l’espace pour déborder en cas de crue. Mais sur l’espace qui peut lui être dévolu, il y a… le camping de Quiberville. Celui-ci, vulnérable aux inondations et aux submersions marines, risque à tout moment une décision préfectorale de fermeture administrative. Pour ces deux raisons, il faut le déplacer. Aujourd’hui, le terrain du futur équipement touristique est viabilisé, les travaux des bâtiments sont quasiment achevés. Pour rejeter à la mer des eaux de meilleure qualité, il faut aussi rendre à la Saâne un meilleur état écologique et sanitaire. Et pour cela améliorer l’assainissement des rejets qu’elle collecte. La station d’épuration à Longueil dont le chantier est en voie d’achèvement, et le raccordement des logements dépourvus d’assainissement collectif, y pourvoiront.
Quand ces chantiers-là seront terminés, il sera alors possible d’offrir à la Saâne une plaine où musarder avant de se jeter dans la Manche en passant sous son pont-cadre tout neuf. Évidemment, tout cela coûte cher. Mais le projet Basse Saâne 2050 a pu bénéficier de financements européens à travers le projet transfrontalier PACCo (Promouvoir l’Adaptation aux Changements Côtiers), qui unit la basse vallée de la Saâne et, côté anglais, la basse vallée de l’Otter. Voilà qui donnera à la basse vallée un nouveau visage. Et qui permettra au territoire reconfiguré d’affronter les défis du XXIe siècle.
Trois chantiers
La relocalisation de l’activité économique municipale avec la construction du nouvel équipement touristique de Quiberville
• Maître d’ouvrage : commune de Quiberville
• Coût du projet : 8,6 M €
• Financement FEDER : 5,9 M €
• Fin des travaux : juin 2023
La nouvelle station d’épuration de Longueil et le raccordement des réseaux d’assainissement
• Maître d’ouvrage : Communauté de communes Terroir de Caux
• Montant de l’opération : 22,8 M €
• Coût de la phase de travaux dans le cadre de l’Interreg PACCo : 4 M €
• Financement FEDER : 2,8 M €
• Fin des travaux : mars 2023 (PACCo) ou fin 2024 (ensemble de l’opération)
Le méandrage de la Saâne et la connexion à la mer
• Maître d’ouvrage : Syndicat mixte des bassins versants Saâne, Vienne et Scie
• Budget : en cours d’étude
• Financement : Agence de l’eau Seine-Normandie, Syndicat mixte des bassins versants Saâne, Vienne et Scie
• Fin des travaux : 2025
Financement:
• Région Normandie 6 %
• Département de la Seine-Maritime 5 %
• Commune de Quiberville 20 %
• FEDER (fonds européen) 69%
Financement phase de travaux PACCo:
• Département de la Seine-Maritime 5 %
• Communauté de communes Terroir de Caux 15 %
• Agence de l’eau Seine-Normandie 11 %
• FEDER (fonds européen) 69%
« L’agence de l’eau Seine-Normandie apporte une contribution technique et financière au projet Basse Saâne 2050. D’abord, sur la connexion de la Saâne à la mer. Notre objectif est à la fois de contribuer à la préservation de la biodiversité, pour les poissons migrateurs notamment, mais aussi pour toute la faune et la flore de la basse vallée : oiseaux, insectes, batraciens. Ensuite, sur l’assainissement : nous accompagnons la Communauté de communes Terroir de Caux dans son projet de station d’épuration et de détournement des eaux usées domestiques qui se jetaient auparavant directement dans la Saâne. L’objectif est de préserver la qualité de l’eau de la rivière et aussi la qualité des eaux de baignade. »
Delphine Jacono, Chargée de projets « Milieux aquatiques et humides » à l’agence de l’eau Seine-Normandie
« Quand des crues produisent des catastrophes quelque part dans le monde, on s’émeut pendant 48 heures, et on passe à autre chose. « Ça n’arrivera pas chez nous … ». Et pourquoi ça n’arriverait pas chez nous ? Cette réaction est humaine, on ne peut pas vivre avec l’angoisse permanente. Mais il faut apprendre à vivre avec le risque ! Il y a une population particulièrement sensible à ce risque, c’est celle des jeunes, des scolaires. Ils se projettent évidemment plus que nous en 2050 ou 2100 ! Ils sont plus sensibles aux phénomènes environnementaux : ils sont nés avec ! Je suis convaincu que nous devons compter sur eux et les aider… à éduquer leurs parents ! »
Nicolas Leforestier, Président du Syndicat mixte des bassins versants, Saâne-Vienne-Scie
« Dès les premières réunions sur ce projet-là, j’ai été bluffé de constater que tout le monde était là : les maires, le département, l’agence de l’eau, les services de l’État… Et bien sûr le Conservatoire du littoral. A chaque réunion il y avait 45 personnes ! La clé du succès de ce projet, ça a été l’intelligence collective : les gens se connaissent, discutent entre eux, et ils voyaient bien, au quotidien, que la situation n’était pas durable, que le camping de Quiberville se faisait grignoter par la mer. Tout l’intérêt de ce projet -mais aussi toute sa difficulté- c’est qu’il s’agissait de re-naturer un territoire, mais sans le mettre sous cloche. »
Hubert Dejean de la Batie, Vice-Président de la Région Normandie et Ancien président du Conservatoire du littoral
« Ce que démontre le projet Basse Saâne 2050, c’est qu’on ne peut réussir à bouger fortement les lignes qu’en fédérant tous les acteurs. Bien sûr, cela prend beaucoup de temps : pour que le projet se concrétise, il aura fallu près de dix ans de concertation. Mais il faut mesurer ce que représentent ces changements : un impact matériel, évidemment, mais aussi et peut-être surtout un impact culturel pour les habitants. Ce qui est modifié, ce n’est pas seulement le paysage, ce sont aussi ses usages. Il est illusoire de penser qu’on puisse le faire avec un revolver sur la tempe. C’est une question de méthode, de priorisation des enjeux, et de prise de conscience d’une responsabilité collective. »
Bertrand Bellanger, Président du Conseil départemental de la Seine-Maritime
« Il y a dans la vallée un certain nombre d’activités, touristiques, agricoles, que vont-elles devenir si on ne fait rien ? Nous avons pris le temps nécessaire pour partager ce constat avec tous les acteurs, et ce temps a servi aussi à se connaître, à se faire confiance, à ce que tout le monde soit bien convaincu que nous n’avions pas de projet caché. C’est le temps qu’il a fallu pour que tout le monde se mette autour de la table. L’autre facteur de succès, c’est le travail continu, sur le terrain, que les chargés de mission accomplissent au quotidien. Il faut des gens qui ont un minimum d’empathie, de compréhension, qui puissent décrocher leur téléphone pour débloquer un sujet sans attendre la prochaine grande réunion. Ce travail à bas bruit est absolument nécessaire. »
Jean-Philippe Lacoste, Délégué de rivages du Conservatoire du littoral pour la Normandie