Des oiseaux et des algues, des rongeurs et des insectes… De février 2021 à février 2022, tout ce qui vit dans la basse vallée de la Saâne a été méthodiquement recensé par une (petite) équipe de naturalistes…
Connaissez-vous la crossope aquatique ?
Non ? C’est normal : bien qu’elle soit la plus grosse musaraigne d’Europe, elle est plutôt du genre solitaire et discret. Elle creuse un terrier dans une berge, puis fabrique une boule de racines, de mousse et d’herbes dont elle garnit ce nid où elle essaie de se faire oublier… en particulier de ses prédateurs. Même les experts naturalistes qui ont procédé à l’inventaire de la faune et de la flore de la vallée de la Saâne n’ont pas croisé de crossope. Ils se sont pourtant fait aider par des alliés plus doués qu’eux : les chouettes effraie qui logent dans les clochers de la vallée. En analysant les pelotes de réjection de ces rapaces, c’est-à-dire les parties indigestes de leurs proies qu’elles régurgitent (poils, petits os), on peut repérer la présence de ces animaux furtifs dont elles raffolent.
Verdict : pas de trace de crossope. Du campagnol des champs à tous les repas, un rat des moissons, quelques crocidures musette (c’est une autre musaraigne), mais de crossope, point. Pourtant, elle est bien présente dans la région. Alors, pourquoi pas ici ? « L’absence de restes osseux de Crossope aquatique ne permet pas de conclure à son absence au sein du site d’étude », résument – prudemment – les experts. C’est bien connu : l’absence de la preuve n’est pas la preuve de l’absence…
Mais ce sont plutôt des preuves de présence que les naturalistes ont cherché pendant un an. Pour ce qui vit dans l’eau, plusieurs techniques ont été mobilisées : la capture bien sûr, grâce à des filets ou des nasses, mais aussi l’ADN environnemental. Des techniciens ont analysé des échantillons de l’eau de la Saâne, et identifié toutes les traces d’ADN qui s’y trouvent. Pour les oiseaux, on a croisé des points d’écoute et des parcours. Tous ceux qui ont été vus ou entendus ont été recensés. Et pour les oiseaux nocturnes, on les a un peu provoqués : on a diffusé des enregistrements de leur chant, pour voir s’ils répondaient. Bref, à chaque expert ses méthodes. Le spécialiste des mammifères ne travaille pas comme celui des insectes ou des serpents !
Mais au fait, pourquoi s’est-on livré à ce méticuleux travail d’inventaire ? Pour trois raisons. La première, c’est que la loi l’exige : avant d’entreprendre les travaux de modification du cours de la Saâne, il faut obtenir une autorisation environnementale, et pour cela démontrer que le chantier ne détruira pas une ou plusieurs espèces protégées. La deuxième raison, c’est justement de pouvoir piloter le chantier en respectant au mieux les espèces et les habitats, les zones humides en particulier. Mais pour les protéger, encore faut-il les déterminer : c’est l’un des volets de l’inventaire. Enfin, le troisième objectif, c’est d’établir un « état des lieux » de la nature avant les travaux, pour pouvoir mesurer, quand la Saâne sera connectée à la mer par le futur pont-cadre, si le gain de biodiversité espéré a bien été obtenu. Si, comme prévu, des espèces nouvelles ont pu s’établir dans la vallée. Voilà pourquoi le Syndicat mixte des bassins versants Saâne – Vienne – Scie a commandé cet inventaire.
Dans quelques années, des experts reviendront donc compter les oiseaux, traquer les libellules et les graminées. Et peut-être, à cette occasion, une chouette effraie avouera-t-elle, en toute candeur, avoir fait ripaille d’une gigolette de crossope.
– Spatule blanche,
– iris sauvage,
– Crapaud calamite,
– criquet ensanglanté,
– orvet fragile